LA VASCULO-ONCOLOGIE

UNE NOUVELLE SPECIALITÉ

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Par Serge Cohen

Président du cncf
Cardiologie et médecine vasculaire. Hôpital européen marseille

Si la cardio-oncologie est aujourd’hui reconnue comme une spécialité à part entière, il n’en est pas de même de la vasculo-oncologie. Et pourtant les complications  veineuses des cancers sont très fréquentes, les complications artérielles plus rares.
Par ailleurs, les complications vasculaires iatrogènes de la chimiothérapie, de la radiothérapie, de l’hormonothérapie sont de mieux en mieux connues, traitées et prévenues.
Je vous propose un survol rapide de ces complications vasculaires.

LES COMPLICATIONS VASCULAIRES DES CANCERS

Complications veineuses thrombo-emboliques

20 % des patients cancéreux vont développer des complications thrombo-emboliques.
Elles représentent la deuxième cause de mortalité chez le patient cancéreux.
Elles incluent les thromboses veineuses profondes spontanées et sur portacath, les embolies pulmonaires aiguës, les thromboses veineuses superficielles spontanées ou iatrogènes.
Elles posent le problème du traitement en pleine évolution avec la confirmation de l’efficacité des AOD dans de nombreuses études, de la prévention et de la récidive plus fréquente en cas de cancer.
Trois grandes études (Hokusaï, Select D, Caravagio) utilisant respectivement l’Edoxaban, le Rivaroxaban et l’Apixaban ont démontré en les comparant aux HBPM la grande efficacité des AOD, avec un taux de récidive similaire et une incidence comparable de complications hémorragiques majeures.
Les dernières recommandations datant de février 2021 leur donnent une place de choix.
Ils restent contre-indiqués dans les cancers digestifs et uro-génitaux du fait d’un surrisque hémorragique.

Complications artérielles des cancers

Il s’agit essentiellement des complications emboliques des tumeurs avec comme conséquences des AVC, des infarctus rénaux et digestifs, des ischémies aiguës des membres.

 » On le voit à travers ce rapide survol, les complications vasculaires des cancers et des traitements anticancéreux méritent d’être connues et bien traitées.
Le cardiologue devrait s’impliquer en 2021 dans leur prise en charge. »

LES COMPLICATIONS DES TRAITEMENTS ANTICANCÉREUX

A. Complications artérielles et veineuses des chimiothérapies

Les macro-thromboses artérielles sont moins fréquentes que les thromboses veineuses. Néanmoins, il a été rapporté 7 % de thromboses artérielles (ischémie myocardique et accident vasculaire cérébral) chez des patients traités pour un cancer de prostate par l’association docétaxel-thalidomide.
Les thérapies anti-angiogéniques sont les médicaments les plus impliqués dans les complications thrombotiques artérielles, avec une incidence allant jusqu’à 11 %.

Parmi les mécanismes d’action, on retient l’altération de l’endothélium vasculaire.

La présentation clinique est variable de l’ischémie chronique à l’ischémie aiguë.

Des microthromboses artérielles peuvent également survenir dans le cadre d’une MAT associée au cancer. La MAT est définie par l’association d’une anémie hémolytique non immune (présence de schizocytes sur le frottis sanguin) et d’une thrombopénie. Elle peut entraîner des microthromboses artérielles responsables de défaillances d’organe.

Dans la majorité des cas, la MAT chez le patient cancéreux est directement liée à l’évolution métastatique de la maladie tumorale et est associée à un mauvais pronostic.

Parfois, la MAT peut être secondaire au traitement anticancéreux. Les premières molécules identifiées ont été la mitomycine C et la gemcitabine.

D’autres cas de MAT ont été rapportés avec l’utilisation de l’interféron alpha, le cisplatine, la daunorubicine, l’aracytine ou la bléomycine, sans qu’il soit possible d’en préciser l’incidence réelle. Plus récemment, les thérapies antiangiogéniques ont été associées à la survenue de MAT.

B. Complications vasculaires de la radiothérapie

La principale manifestation vasculaire tardive en terrain irradié est une sténose artérielle de moyen-gros calibre chez les longs survivants du cancer. Le mécanisme est une athérosclérose « accélérée » sur terrain de fibrose radio-induite périvasculaire. Incidence et gravité croient avec le temps, surtout après un délai de cinq ans après radiothérapie, depuis longtemps oubliée. 

Le risque est d’autant élevé et précoce que dose et volume de radiothérapie étaient élevés, associés à une chirurgie large, à un jeune âge et avec des facteurs de risque vasculaires. 

La clinique, longtemps fruste, se manifeste sous forme d’ischémie chronique avec possible accident aigu. Diagnostic et évaluation d’aval (hémodynamique et collatéralité) associent Doppler et angioscanner (ou angiographie par résonance magnétique), puis possiblement angiographie : sténose typiquement longue et irrégulière, possiblement associée à une sténose courte très serrée. 

Toutes les atteintes artérielles ont été décrites sous forme de case report accidentel, puis étude de cohorte, mais ce sont les études épidémiologiques qui ont permis de préciser au mieux le risque, en particulier pour l’atteinte carotide et coronaire. 

Des atteintes ischémiques ont été décrites au niveau cérébral par atteinte directe artérielle cérébrale de l’enfant, ou indirecte carotidienne après cancer oto-rhino-laryngologique et maladie de Hodgkin ; au niveau de membre sur sténose axillo-sous-clavière de cancer du sein ou iliofémorale de cancer pelvien ; et en intrathoracique (coronaire) ou intra-abdominal (artère rénale, cœliaque, mésentérique). 

Le traitement de l’ischémie aiguë a été longtemps chirurgical en conditions difficiles de cicatrisation et de sepsis. 

Le développement de l’angioplastie transluminale avec stent a permis une revascularisation plus aisée et salvatrice, bien qu’à risque de resténose. 

La prise en charge actuelle passe surtout par un diagnostic plus précoce avec l’introduction d’un traitement médical dès surépaisseur intima-média ou sténose modérée, avec correction des facteurs de risque vasculaires, possiblement associés à une réduction de la fibrose radio-induite.

C. Complications vasculaires de l’immunothérapie

Très peu de cas colligés.

D. Complications vasculaires de l’hormonothérapie

Le Tamoxifène® a un effet anti-estrogénique sur le sein et l’endomètre, mais un effet estrogénique sur l’hémostase expliquant au moins partiellement la survenue d’événements thrombotiques. 

Lorsque le Tamoxifène® est utilisé chez les femmes à haut risque de cancer du sein en prévention de la récidive, le risque thrombotique est multiplié par deux chez les femmes de plus de 50 ans par rapport à une population contrôle. 

Lors de son utilisation dans le traitement du cancer du sein, le risque de MTEV varie de 2,4 (IC95) à 7,1 (IC95 = 1,5-33). En 2016, une large étude de cohorte anglaise ayant inclus 13  202 patientes de 1997 à 2006 suivies jusqu’en 2010 montre que le tamoxifène est associé à un risque de MTEV de 2 % par an, quatre fois plus élevé que le risque avant traitement. Dans cette étude, le risque est multiplié par 5,5 (IC95 = 2,3-12,7) durant les trois premiers mois. Au-delà de 3 mois, l’odd ratio est de 1,9 (IC95 = 0,9-4,3). 

Dans une revue de la littérature, le risque lors de l’utilisation de Tamoxifène® existerait surtout les 2 premières années et chez les femmes les plus âgées. 

E. L’hypertension artérielle

Une pression artérielle supérieure à la normale majore de façon significative le risque de développer un cancer de 10 à 20 % chez l’homme.

De nombreuses études montrent qu’une HTA depuis plus de 5 ans favoriserait l’apparition d’un cancer rénal.

Les thérapies antiangiogéniques ciblant le VEGF peuvent induire une HTA chez 4 à 35 % des patients traités par bévacizumab. 

Il semblerait exister une relation de dose-intensité et des données suggèrent une corrélation positive entre efficacité du traitement et survenue d’une HTA.

Le mécanisme est encore largement méconnu, mais semble directement corrélé à l’inhibition du VEGF, qui entraînerait une diminution de la synthèse de NO dans la paroi des artérioles d’où une vasoconstriction artériolaire, une élévation des résistances périphériques et une élévation de la pression artérielle.

Le traitement antihypertenseur repose préférentiellement sur les inhibiteurs du système rénine-angiotensine et les inhibiteurs calciques non bradycardisants.

Le traitement de l’hypertension artérielle améliore le pronostic du cancer.

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