Septembre 2023

Editorial

L’ESC d’Amsterdam a donné le départ de la nouvelle année cardiologique avec le support de ses études, et surtout de ses nouvelles recommandations en particulier concernant le SCA, l’insuffisance cardiaque, l’endocardite et les maladies cardiovasculaires du diabète. 

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LA PAROLE À

Apoena Costa - Bordeaux

Nouveau président de l’ACBA
Amicale des Cardiologues du Bassin d’Adour

LA MINUTE VASCULAIRE

Traitement endovasculaire des dissections de type B non compliquées : changement de paradigme ?

Classiquement les dissections de type A bénéficient d’un traitement chirurgical en urgence alors que la prise en charge des dissections de type B (en aval de l’artère sous-clavière gauche) est médicale à la phase aiguë.
 par Serge Cohen

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LES MOTS MÉDICAUX

Solastalgie
“Fugit irreparabile tempus” écrivait Virgile dans les Géorgiques. par Jacques Gauthier

Les articles de nos experts

Le scanner va-t-il définitivement remplacer la coronarographie ?

Contexte

Le scanner est un outil très performant pour la détection des sténoses coronaires. Il est de plus en plus utilisé en première intention dans l’exploration des douleurs thoraciques. Demain, la résolution spatiale sera encore améliorée (notamment grâce au comptage photonique) et sera associée à une analyse fonctionnelle par FFR-CT. Plusieurs études ont montré son excellente corrélation à l’analyse angiographique couplée à la FFR invasive. Mais cela va-t-il remplacer la coronarographie ?

En théorie

En 2022, le New England Journal of Medicine sortait une étude nommée DISCHA~qEÅ qui devait répondre à cette question. En effet, cette étude a randomisé des patients adressés pour une coronarographie entre cet examen et un coroscanner. A 3,5 ans, le taux d’événements majeurs était identique dans les 2 groupes mais il y avait plus de complications procédurales en coronarographie.
En y regardant de plus près, nous avons tout d’abord été surpris par la population étudiée. En effet, seulement 13% des patients présentaient un angor typique et seulement 15% avaient eu un test d’ischémie positif. Les résultats sont également surprenants puisque seulement 25 % des patients avaient une lésion coronaire significative. Le taux de complications était plus important dans le groupe coronarographie, mais responsable d’une hospitalisation prolongée que pour 0,6% d’entre eux (vs 0,2% dans le groupe scanner).
On peut donc conclure que chez les patients non coronariens (plus de 75 % de l’effectif), le scanner peut remplacer la coronarographie. Bien entendu, il est difficile de savoir si ces résultats peuvent être étendus à nos patients avec véritable SCA ou coronariens déjà stentés, etc … 

En pratique

Jeune interne de cardiologie, mon chef de service m’expliquait à l’époque que pour un cardiologue donné, “le taux approprié de coronarographie normale” devait être autour de 50 %. Si ce taux était trop bas, cela voulait dire que le travail de sélection n’était pas assez rigoureux. Inversement, si le taux était trop haut, cela voulait dire qu’il y avait beaucoup de patients, véritables coronariens, qui n’avaient pas été diagnostiqués.
A l’heure actuelle, cette réflexion semble bien dépassée. En effet, la possibilité actuelle de faire un scanner en cas de suspicion de coronaropathie permet d’éliminer avec une excellente valeur prédictive négative la présence de lésions sténosantes. Le scanner peut, en outre, apporter des informations complémentaires sur la charge athéromateuse et la présence de plaques vulnérables participant à une meilleure estimation du risque cardiovasculaire. Il peut aussi participer à la stratégie de revascularisation : on pense à une préférence chirurgicale en cas de lésions très diffuses, ou de techniques d’angioplastie dans des cas complexes.

En conclusion

Oui, le scanner va probablement remplacer la coronarographie… normale. Cependant, l’apport du scanner dans la prise en charge de nos patients coronariens va largement au-delà de cette simple recherche de sténoses en apportant des informations supplémentaires sur le pronostic (charge athéromateuse, vulnérabilité des plaques,…) et sur la stratégie de revascularisation.

Les traitements des dyslipidémies : quel avenir ?
PARTIE 1 : les nouveaux moyens

La prise en charge des dyslipidémies sera prochainement marquée par une évolution des moyens thérapeutiques avec comme cible l’expression des gènes et comme objectif l’espoir d’augmenter la durée d’efficacité des traitements et leur tolérance. On peut décrire un cycle ayant 6 phases concernant les traitements diminuant le LDL-cholestérol (LDL-c).

Les trois premières phases
La première phase, débutée dès les années 1950, a été celle de molécules issues de la chimie traditionnelle et agissant sur une étape du métabolisme du LDL-c. Elle a triomphé avec les statines, l’ézétimibe et, plus récemment, l’acide bempédoïque (non encore disponible en France). Selon la molécule et la dose, il est possible de diminuer le LDL-c de 15 à 55%. La deuxième phase a consisté à associer les molécules de la première phase, ce qui a permis d’obtenir des diminutions du LDL-c pouvant dépasser 65% de la valeur de base.
Tous ces traitements doivent être utilisés par voie orale et quotidiennement. La troisième phase a débuté il y a moins de 20 ans, après l’identification de l’enzyme PCSK-9. Elle a constitué un changement d’ordre à plusieurs niveaux. D’abord par le recours aux anticorps monoclonaux et donc aux biotechnologies. Et, par conséquence, par le recours à des traitements injectables pour prendre en charge une maladie chronique de grande prévalence. Ensuite, en disposant de traitements pouvant n’être utilisés que tous les 15 jours. Enfin, par une efficacité importante avec des diminutions du LDL-c dépassant les 60% de la valeur de base.
En sus, ces traitements peuvent être associés à ceux de la pharmacologie classique.

Les trois phases à venir
Elles sont marquées par la régulation à l’échelle des gènes d’éléments impliqués dans le métabolisme du LDL-c. Le premier traitement qui devrait être disponible, l’inclisiran, est un agent qui interfère avec l’ARN afin de limiter la production de PCSK-9.
Il permet de diminuer le LDL-c de plus de 50% pendant 6 mois, et donc avec une injection tous les 6 mois. Il pourra être associé aux traitements pharmacologiques usuels destinés à diminuer le LDL-c. Plusieurs oligonucléotides antisens sont en développement.
Ces fragments d’ARN, synthétisés en laboratoire, se lient spécifiquement à un ARN messager naturel et en modulent la fonction. Une molécule de ce groupe est déjà commercialisée dans certains pays, le mipomersen pour la prise en charge des hypercholestérolémies familiales en une injection sous-cutanée par semaine.
Plusieurs autres molécules sont en phase d’essais cliniques comme l’AKCEA-ANGPTL3 et l’ARO-ANG3 permettant des diminutions de 30 à 50 % du LDL-c.

L’étape ultime
Des évaluations animales démontrent qu’il est possible de modifier le génome par la technique du CRISPR-Cas9 dans certaines formes d’hypercholestérolémies familiales monogéniques ce qui pourrait permettre par une unique intervention un traitement définitif de ces maladies.

Apple Watch et FA pour le cardiologue libéral

La miniaturisation d’appareils permettant l’enregistrement d’ECG (grâce à des patchs, des appareils portatifs porteurs d’électrodes, ou des montres connectées) permet aujourd’hui de diagnostiquer l’origine de palpitations paroxystiques mieux qu’un Holter de 24h ou un ECG en urgence au cabinet, mais aussi de dépister des arythmies asymptomatiques. Parmi elles, l’Apple Watch est une des plus vendues et la plus célèbre. 

Depuis sa première génération, l’Apple Watch inclut un algorithme de détection de la fibrillation atriale (FA) via l’irrégularité du pouls détectée sur plusieurs mesures au repos. Son efficacité publiée dans un article sur le NEJM en 2019 a permis le marquage CE dans ce but. Cet article incluait 419297 américains porteurs d’une Apple Watch Série 1 (sans ECG, avec un simple algorithme de détection d’irrégularité du pouls), suivis pendant 117 jours médians ; en cas d’alerte FA sur le pouls, un patch ECG était envoyé au domicile du patient à porter 7 jours pour confirmer le diagnostic. 0.52% des patients suivis ont reçu une alerte, amenant à l’enregistrement d’un épisode de FA par le patch chez 34%. La valeur prédictive positive de détection de la FA par la montre, évaluée en comparant les alertes de FA détectées par la montre et les tracés concomitants du patch, était de 84%. 

Les dernières versions de l’Apple Watch ont été enrichies de divers capteurs, comme un thermomètre (détection cycles menstruels etc), un saturomètre, un accéléromètre qui permet d’évaluer l’activité du patient, de jour comme de nuit (apnée du sommeil, activité physique…), et surtout 2 électrodes permettant l’enregistrement d’un électrocardiogramme, en appliquant un doigt opposé au poignet porteur sur un deuxième capteur latéral, pour permettre l’enregistrement d’une monopiste DI. Un algorithme analysera automatiquement les signaux enregistrés et permettra une classification entre rythme sinusal, FA, fréquence cardiaque faible ou élevée, ou résultat peu concluant (pacemaker, autre arythmie, artéfacts etc). Elle ne s’intéresse pas à la repolarisation. Les tracés sont stockés sous forme de PDF dans la montre ou l’app Santé d’un iPhone connecté, et peuvent être transmis au médecin du patient. 

Une étude pilote publiée en 2020 dans Circulation a étudié la précision de l’Apple Watch Série 4 (permettant les ECG) pour détecter la FA après une chirurgie cardiaque. Si le nombre de faux positifs était nul, seules 38% des FA documentées sur la télémétrie postopératoire étaient détectées correctement par la montre, et nombre de tracés enregistrés étaient étiquetés illisibles (32%). 

L’analyse par un cardiologue des tracés de la montre permettait cependant de monter la sensibilité à 96%. 

La multiplication des capteurs de paramètres vitaux connectés apporte de nouveaux outils de suivi qui sont une opportunité chez les patients sélectionnés, mais aussi nombre d’alertes, fausses ou inutiles, qui nous obligent à nous organiser pour ne pas être submergés par une surmédicalisation dont la volonté est, pour l’heure, assez commerciale… 

HTA : ESH Guidelines 2023 : back to the future

La Société européenne d’hypertension artérielle (ESH) a publié ses nouvelles recommandations 2023. Ce travail représente un document actualisé et complet sur le diagnostic, l’exploration et le traitement de l’hypertension artérielle.

Si certaines parties sont similaires au précédent opus de 2018 des nouveautés majeures apparaissent comme la prise en charge de l’hypertension artérielle dans des populations de patients spécifiques notamment en cas de cancer, en présence de diverses comorbidités, chez le patient âgé avec une section sur l’interaction entre Covid-19, l’hypertension et les médicaments antihypertenseurs.
Ce document décrit la conduite à tenir chez les patients souffrant de diverses autres pathologies, telles que l’obésité, les maladies cardiaques multiples, les maladies rénales chroniques, le diabète, le glaucome et les maladies inflammatoires liées à l’immunité.

Pour la première fois, le guide fournit des conseils sur la prise en charge de l’hypertension artérielle pendant l’enfance, l’adolescence et le passage à l’âge adulte. Elles précisent également le périmètre d’utilisation de la dénervation rénale comme option chez certains patients notamment les hypertendus résistants.

Chacun pourra ainsi trouver en détail les réponses à des situations cliniques les plus variées. La liste est longue pour un document deux fois plus épais que les précédentes recommandations.

Une partie de ce document présenté en deux parties lors du très récent congrès de l’ESH à Milan précise également les modalités de la mesure de la pression artérielle, il élargit le recours au bilan d’HTA chez les patients hypertendus afin de mieux dépister une HTA secondaire. Il détaille dans des figures la fréquence des différentes étiologies et leur prise en charge spécifique.

L’une des principales caractéristiques du document est qu’il propose un mélange de matériel éducatif, avec des nombreux détails pour ceux qui souhaitent en savoir plus et des recommandations simplifiées et exploitables pour les cliniciens occupés et ceci à la fin de chaque section. Le clinicien pourra ainsi y chercher ponctuellement la réponse à des situations cliniques pratiques.

On pourra s’étonner comme beaucoup dans l’assistance ce jour-là de la place donnée à l’utilisation des BBloqueurs, de la prépondérance de la mesure clinique par rapport à l’ambulatoire – école Milanaise oblige – des seuils d’initiation du traitement et des objectifs thérapeutiques restant basés sur ces valeurs cliniques et complétés par la mesure ambulatoire. Cela ne doit pas occulter ce travail considérable présidé par Giuseppe Mancia et coprésidé par Reinhold Kreutz car l’objectif est plus large pour ces auteurs.

Ces recommandations s’ajoutent à un grand nombre de guidelines nationales et internationales sur la tension artérielle dans le monde, mais les enquêtes auprès de la population générale montrent qu’elles ne sont pas bien appliquées dans toutes les régions du monde. Aujourd’hui en France sur 14 millions d’hypertendus plus de deux tiers ne sont pas contrôlés et près de la moitié n’a même pas connaissance de cette maladie. L’enjeu est certes dans la mesure et l’observance mais il commence par le dépistage.

Espérons comme Giuseppe Mancia que ces nouvelles recommandations aient un impact sur la santé des patients. C’est d’ailleurs l’impression que l’on a lorsque l’on termine la lecture de ces recommandations, semblant tiraillées entre des pratiques plus anciennes et un futur innovant et prometteur pour l’HTA.

Apport d’une nouvelle génération de scanners dans l’étude de la maladie coronarienne athéromateuse

Le saut technologique apporté par la nouvelle génération de scanners à comptage photonique, disponible depuis peu, procure une progression significative dans la qualité de l’imagerie par : 

  • Une diminution de la taille des détecteurs pour une augmentation de la résolution spatiale (+40%) sans majoration de la dose d’irradiation. 
  • L’obtention d’une information spectrale sur les structures étudiées. 
  • Une acquisition plus rapide et une irradiation moindre -avec lorsque la fréquence cardiaque le permet une acquisition sur un seul battement (TurboFlash). 
  • L’arrivée de nouveaux outils dans le traitement de l’image : étude des lésions à différents niveaux d’énergie, soustraction du signal de la composante calcaire afin de définir et mesurer la “vraie lumière” artérielle (Pure Lumen) ; analyse spectrale des plaques d’athérome pour en déterminer la composition précise. 

Un premier bénéfice dans l’étude des stents coronaires, avec une définition accrue grâce à l’imagerie à très haute résolution (coupes de 0,2mm au lieu de 0,6mm ; nouveaux filtres) permettant de diagnostiquer ou d’exclure une resténose intrastent pour les stents de diamètre > 2,5mm. 

Il y a déjà une bonne corrélation avec la “luminographie” obtenue par cathétérisme cardiaque, en nette progression par rapport aux précédentes générations d’appareils, qui sera encore renforcée par les études actuellement menées dans notre institution, incluant l’imagerie coronaire en projection, le Pure Lumen, l’imagerie endocoronaire par ultrasons et l’étude de la plaque par scanner. 

Le coroscanner peut dès à présent s’avérer très utile comme outil d’imagerie complémentaire à la coronarographie dans la planification de certains gestes thérapeutiques : désobstruction d’occlusions coronaires chroniques, traitement de sténoses ostiales ou de lésions complexes de bifurcations. 

Toutefois son but ultime – et véritable “Graal” – reste l’étude des composantes de la plaque d’athérome et donc le dépistage des plaques vulnérables à risque. Des scores semi-quantitatifs (SIS score) sont déjà utilisés pour évaluer l’étendue des lésions athéromateuses coronaires. 

L’imagerie spectrale basée mesurant l’atténuation d’énergie au travers des différentes structures fait entrevoir la possibilité d’obtenir une véritable cartographie de la plaque athéromateuse (volume de la plaque, importance du remodelage positif, épaisseur de la chape fibreuse, taille du cœur lipidique, présence de calcifications, présence d’hémorragie intraplaque). 

L’utilisation de l’Intelligence Artificielle en segmentant semi-automatiquement les lésions coronaires aidera surement à identifier de façon non invasive les marqueurs de l’inflammation vasculaire. 

L’enjeu est fondamental sachant que la plupart des évènements coronariens aigus surviennent en l’absence de symptômes préalables et que deux-tiers des infarctus myocardiques sont causés par la rupture d’une plaque vulnérable. 

Il est donc crucial de chercher à dépister la présence de ces plaques vulnérables chez les patients athéromateux et cependant asymptomatiques. 

Une intervention thérapeutique ciblée – dont les modalités resteront à définir et à valider – pourrait en découler, non plus uniquement basée sur les scores de risque et le score calcique (ESC Guidelines 2021), mais également sur les caractéristiques des plaques détectées. 

Le coroscanner trouverait ici un moyen efficace d’élargir son apport dans la prévention du risque cardiovasculaire. 

Les articles publiés sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Les informations sur l’état actuel de la recherche et les données présentées sont susceptibles de ne pas être validées par la commission d’AMM.

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