Novembre 2022
Editorial
Notre congrès national vient de s’achever à Strasbourg et a connu un franc succès grâce à votre présence aux sessions interactives, avec une belle implication des associations régionales, du comité d’organisation et du comité scientifique.
Les nombreuses études majeures présentées à l’ESC ont été analysées au cours de ce congrès pour nous permettre de parfaire nos stratégies de prise en charge, avec des échanges très riches et conviviaux
LA PAROLE À
Erwan Donal - Rennes
Pourquoi nous intéressons-nous tant à l’oreillette gauche ?
LA MINUTE VASCULAIRE
Histoire naturelle des ectasies (25-29 mm) de l’aorte abdominale : revue systématique et métaanalyse
Dans la Multicentre Aneurysm Screening Study
(MASS), essai randomisé, le devenir à long-terme
du dépistage des anévrysmes chez les hommes
entre 65 et 74 ans est bénéfique en terme de… par Serge Cohen
Les articles de nos experts
J’ai des extrasystoles ventriculaires ; Est-ce grave, Docteur ?
La présence d’extrasystoles ventriculaires (ESV) sur un ECG ou un Holter-ECG des 24 heures est fréquente. La gravité de ces ESV dépend essentiellement de la présence d’une cardiopathie sous-jacente. Il convient de débuter un bilan cardiaque complémentaire lorsque ce nombre est au-dessus de 10 ESV/h si le patient est symptomatique ou 500/24h si le patient est asymptomatique.
Le bilan demandé dépendra de la localisation des ESV. Si ces ESV proviennent du ventricule droit (aspect de retard gauche à l’ECG), on recherchera essentiellement une dysplasie arythmogène du VD. Si elles proviennent du VG (aspect de retard droit à l’ECG) on recherchera une cardiopathie gauche : valvulaire, ischémique, hypertensive, etc.
Les examens de référence à réaliser sont : ECG, Holter- ECG des 24 heures, ETT et IRM cardiaque (qui peut révéler une cicatrice de fibrose pouvant expliquer ces ESV). Il est aussi possible de réaliser une épreuve d’effort qui permet de constater si ces ESV s’aggravent à l’effort (ce qui est plutôt un signe en faveur d’une cardiopathie sous-jacente) ou non.
Si une cardiopathie sous-jacente est diagnostiquée il convient évidemment de la traiter avec une remarque particulière pour les patients avec nombreuses ESV (> 10000 par 24 heures) et dysfonction VG systolique. Dans ce cas, les ESV peuvent être responsables de la dysfonction VG et il convient de les traiter pour voir si la dysfonction VG disparait, signant une cardiomyopathie rythmique.
Le traitement des ESV dépend de la cardiopathie sous-jacente et de leurs caractéristiques. On traitera d’autant plus des ESV que les patients sont symptomatiques et que ces ESV sont nombreuses avec une dysfonction VG associée. A l’inverse, des ESV peu nombreuses, asymptomatiques et sans cardiopathie sous-jacente ne nécessitent pas de traitement particulier, en dehors d’une surveillance cardiologique simple.
Concernant la pratique du sport, celle-ci va dépendre de la cardiopathie sous-jacente. D’une manière générale la pratique régulière de sport d’intensité faible à modérée est bénéfique pour l’ensemble du système cardiovasculaire. Si les ESV bénignes ont tendance à disparaitre à l’effort et sur un cœur sain il n’y a pas de contre-indication à la pratique du sport. Cependant, il convient de distinguer le niveau d’effort en fonction du type de sport pratiqué mais aussi le niveau de pratique du sport (amateur ou professionnel). Chaque cas doit être discuté individuellement mais si le patient présente une cardiopathie sous-jacente, celle-ci doit être traitée et la pratique du sport doit être discutée en fonction du type et du degré de la cardiopathie ainsi que du type et du niveau de sport pratiqué.
Désordres hypertensifs de la grossesse
et risque de maladie cardiovasculaire.
Les troubles hypertensifs de la grossesse (DHG) sont présents chez environ 10 % des grossesses et responsables d’une augmentation de 15 % de la morbidité et de mortalité maternelle et foetale liées à la grossesse. Il s’agit d’une des causes les plus importantes d’atteinte maternelle et foetale. Cette prévalence augmente dans les pays développés en corrélation avec l’augmentation de l’âge de la première grossesse et du surpoids.
On regroupe sous le terme de DHG plusieurs entités distinctes : hypertension gravidique (HG), la prééclampsie (PE) et l’éclampsie.
Il est remarquable de souligner que les patientes atteintes de DHG présentent également un risque accru de maladie cardiovasculaire et rénale qui perdure dans la vie, ceci de façon indépendante des facteurs de risque classiques de maladie
cardiovasculaire et indépendamment de la normalisation de la PA après l’accouchement. Le risque de développer une hypertension artérielle dans les années suivant l’accouchement est très élevé dans cette population.
Dans ce contexte, les recommandations internationales actuelles proposent un suivi de ces femmes en post-partum mais aussi à long terme. Mais la nature de cette prise en charge n’a pas été précisée et les recommandations n’ont pas beaucoup évolué au cours des dernières années contrairement aux recommandations sur l’hypertension pour la population générale. Des initiatives se mettent en place notamment pour mieux prendre en charge ces patientes et prévenir les complications. En France une vaste cohorte (CONCEPTION) à été menée entre 2010 et 2018, ainsi plus de 2,6 millions de femmes ont participé à cette étude avec un suivi moyen de 3 ans.
Les résultats montrent que les femmes ayant développé un DHG étaient plus âgées, avaient plus de risque d’être obèses, diabétiques, d’avoir une césarienne, une mort fœtale in utero ou une hémorragie de la grossesse ou du post-partum. Au cours du suivi, 47 533 (1,78 %) femmes ont développé une HTA chronique ; ce taux était 6 fois plus élevé chez les femmes ayant eu une hypertension gravidique et 9 fois plus élevé chez les patientes ayant présenté une pré éclampsie par rapport à la population de femmes sans DHG. La prise en charge et le suivi tensionnel, notamment par automesure, des femmes lors d’une grossesse sont un défi et une nécessité pour l’ensemble de la communauté médicale.
Impact des désordres hypertensifs de la grossesse sur la survenue d’une hypertension artérielle (Impact of hypertensive disorders of pregnancy on the onset of chronic hypertension).
Grégory Lailler (gregory.lailler@santepubliquefrance.fr), Pauline Boucheron, Élodie Moutengou, Nolwenn Regnault, Amélie Gabet, Catherine Deneux-Tharaux, Sandrine Kretz, Clémence Grave, Claire Mounier-Vehier,Vassilis Tsatsaris, Geneviève Plu-Bureau, Jacques Blacher, Valérie Olié.
L’insuffisance cardiaque à l’ACC 2022 : les paradoxes de deux études
Plusieurs études importantes concernant l’insuffisance cardiaque ont été présentées lors du congrès de l’American College of Cardiology qui s’est tenu début avril 2022. Deux d’entre elles ont eu des résultats non attendus, sinon paradoxaux. Ces résultats concernent deux paramètres supposés faire partie des premières causes de décompensation cardiaque : les apports sodés et les infections, notamment respiratoires.
Le premier résultat
Le premier résultat est qu’un “traitement historique” de l’insuffisance cardiaque, la restriction sodée, ne semble pas efficace à en améliorer le pronostic. C’est en tout cas le résultat de l’étude contrôlée, randomisée et ouverte, SODIUM-HF conduite chez 806 patients dont la moitié a eu une restriction sodée à moins d’1,5 g/j d’apports quotidiens et l’autre les soins usuels. Au terme de 12 mois de suivi, il n’y a pas eu de différence significative entre les groupes concernant les hospitalisations cardiovasculaires, les consultations en urgence et les décès.
Qu’en conclure ? Que c’est inefficace malgré l’ancienneté et le bon sens sur lesquels repose cette mesure ? Que les traitements modernes permettent de ne pas proposer une telle mesure ? Que l’étude a manqué de puissance ? En tout cas, comme la consommation sodée de base des patients inclus n’était pas élevée (2,3 g/j d’apport), on peut conclure qu’il n’est pas démontré chez ce type de patients que diminuer plus encore la consommation sodée est bénéfique.
Second résultat
Le second résultat est que la vaccination antigrippale annuelle pendant 3 ans, par rapport au placebo, ne réduit pas le risque d’événements CV majeurs chez des patients ayant une insuffisance cardiaque. C’est en tout cas le résultat de l’étude IVVE conduite en double aveugle contre placebo chez 5 129 patients.
Qu’en conclure ? Que le critère primaire (IDM, AVC, décès CV) était mal adapté et qu’un critère comprenant l’hospitalisation CV l’aurait été mieux ? Ou plutôt, comme le montre une analyse complémentaire, que le risque des événements du critère primaire est bien significativement diminué en période d’épidémie grippale mais ne l’est pas en dehors des périodes épidémiques ? C’est en tout cas ce que suggère cette analyse qui encourage à promouvoir la vaccination antigrippale chez les insuffisants cardiaques.
Cardio-oncologie : ce que doit savoir le cardiologue
Depuis maintenant une dizaine d’années, la cardio-oncologie a un intérêt croissant pour les cardiologues en France. Cette sur spécialité de la cardiologie a pour but de prendre en charge les complications cardiovasculaires des patients avec un cancer, avant, pendant et après leur traitement. Il est donc important pour un cardiologue de connaître les complications, les molécules incriminées, les modalités de dépistage de prévention et de traitement en fonction du type de cardiotoxicité attendue. Nous aborderons ici, les spécificités d’une consultation de cardio-oncologie pour une prise en charge optimale des patients atteints de cancer et nous verrons aussi de façon synthétique deux des complications les plus fréquentes en cardio-oncologie.
La consultation de cardio-oncologie
Une consultation de cardio-oncologie ne doit pas se limiter à la mesure seule de la fraction d’éjection comme souvent demandée par les oncologues, c’est une consultation à part entière, qui comprendra un examen clinique, un ECG, un bilan biologique avec un bilan lipidique, une glycémie à jeun ou HbA1C, des biomarqueurs cardiaques (troponine et peptides natriurétiques), et selon le profil de cardiotoxicité une échographie cardiaque avec mesure de la FEVG et du strain longitudinal global (SLG) si disponible. A la fin de cette consultation devra apparaître :
- Le risque propre de cardiotoxicité du patient selon son profil cardio vasculaire et de la molécule qu’il recevra (éventuellement selon la dose reçue).
- La mesure de cardioprotection à mettre en place (optimisation d’un traitement anti-hypertenseur, traitement d’une dyslipidémie ou d’un diabète…).
- Le suivi cardiovasculaire pour dépister la cardiotoxicité liée au traitement anti cancéreux à court, moyen et long terme
Si au cours de la consultation de suivi le patient présente une cardiotoxicité, il conviendra bien sûr de la traiter de façon adéquate c’est-à-dire en connaissant les indications de traitements cardiovasculaires mais aussi les spécificités du patient traité pour un cancer (risque d’interactions médicamenteuses, de troubles ioniques, de thrombopénie…).
La cardiotoxicité myocardique aux traitements anti-cancéreux
C’est la complication la plus connue des cardiologues, elle est définie comme une FEVG < 50 % et ayant diminué de plus de 10 points par rapport à la FEVG avant traitement. Les molécules pourvoyeuses de dysfonction ventriculaire gauche sont les anthracyclines, les thérapies ciblées avec notamment le trastuzumab, utilisé généralement dans le cancer du sein. Cette toxicité se dépiste différemment selon la molécule utilisée :
Pour les anthracyclines la cardiotoxicité survient en large majorité dans l’année après la fin de la chimiothérapie. On réalisera donc un bilan cardiologique avec une échographie cardiaque avant le traitement, après l’équivalent de 240mg/m2 de Doxorubicine puis à toutes les cures suivantes. Ensuite, le patient sera suivi à 6 mois, 1 an, 2 ans puis régulièrement selon son profil de risque de cardiotoxicité.
Pour le trastuzumab, la cardiotoxicité survenant pendant le traitement, un bilan cardiologique avec une échographie cardiaque sera réalisé avant le traitement puis tous les 3 mois pendant toute la durée du traitement. On peut également dépister la survenue de cette cardiotoxicité encore plus précocement avec notamment l’utilisation de la troponine qui sera à doser avant le traitement puis à la fin de chaque perfusion d’anthracyclines ou de trastuzumab.
On définira une cardiotoxicité subclinique en cas de troponine > au 99ème percentile. Cette stratégie a été la mieux démontrée dans une population à risque de cardiotoxicité recevant 1) de fortes doses d’anthracyclines, 2) une combinaison de plusieurs traitements cardiotoxiques ou 3) chez des patients avec des facteurs de risque cardiovasculaire. L’utilisation de la troponine dans le suivi d’un patient sous chimiothérapie nécessite une coordination étroite entre cardiologue et oncologue pour savoir quel est le rôle de chacun et s’y tenir. Enfin, lorsque disponible sur les machines d’échographie cardiaque, la mesure de strain longitudinal global (SLG) pourra être faite au moment de la surveillance échographique de la molécule utilisée. Pour le moment, on retiendra une variation de 15 % du SLG par rapport au SLG baseline comme marqueur de la cardiotoxicité sub clinique.
En cas de survenue de cardiotoxicité :
- Si la FEVG baisse de 10 points et passe en deçà de 50 %, il faudra introduire un traitement par IEC et bêtabloquant (recommandations classe IIa des dernières recommandations ESC 2021 sur l’insuffisance cardiaque). Si la FEVG passe en deçà de 40 %, il faudra alors suivre les recommandations de l’ESC 2021 sur l’IC.
- Si la troponine s’élève en cours de chimiothérapie, il faudra introduire un traitement par IEC après avoir éliminer une autre cause d’élévation de la troponine.
- Si le SLG varie de 15 %, il n’existe pas aujourd’hui de recommandations spécifiques. L’étude SUCCOUR en 2020 n’a pas réussi à montrer une différence de FEVG 1 an après un traitement par anthracyclines entre un groupe dépisté selon la variation du SLG et un groupe dépisté classiquement selon la variation de la FEVG. D’autres études seront nécessaires pour valider cette stratégie. Pour le moment, il conviendra en cas de variation du SLG de rapprocher le suivi échographique des patients.
L’HTA sous traitement anti cancéreux
La survenue d’une HTA ou le déséquilibre d’une HTA pré existante au cours d’un traitement anti cancéreux sont également des motifs fréquents de consultation en cardio-oncologie. De nombreuses molécules sont pourvoyeuses d’HTA (anti-VEGF, les inhibiteurs de Bruton, les inhibiteurs du protéasome…). Il conviendra donc pour ces patients de dépister l’HTA au cours du traitement par une mesure de pression artérielle en consultation mais idéalement en y associant des automesures ou une MAPA. Pour les patients sous chimiothérapie per os pourvoyeuse d’HTA, une mesure tous les 3 mois sera nécessaire. En cas de survenue d’HTA ou de déséquilibre d’HTA, le choix de la molécule antihypertensive diffère du patient en cardiologie quotidienne. Il faudra se méfier des interactions médicamenteuses en évitant :
- les inhibiteurs calciques bradycardisants (Vérapamil, Diltiazem), inhibiteurs du cytochrome P3A4 avec un risque de surdosage du traitement anti cancéreux,
- les diurétiques dans une population plus à risque de déshydratation ou d’hypokaliémie. On privilégiera donc les inhibiteurs calciques, les IEC/ARAII ou les bêtabloquants. Seule une HTA maligne ou avec atteinte d’organes fera suspendre le traitement. Un fois la crise gérée on pourra discuter avec l’oncologue la reprise du traitement éventuellement à un palier inférieur.
Avec le nombre croissant de patients avec ou ayant survécu avec un cancer, le cardiologue quelque soit sa spécialité ou son mode d’exercice doit être impliqué dans la prise en charge de ces patients de concert avec les oncologues. Son objectif sera de prévenir, dépister et traiter les complications cardiovasculaires liées au traitement anti cancéreux pour que le patient puisse bénéficier du meilleur traitement pour son cancer, avec un risque limité de complications cardiovasculaires à moyen et long termes.
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