Mort subite : le défi…- Eloi Marijon (Paris)
La mort subite cardiaque représente un véritable problème de santé publique avec une estimation récente évaluant à 250,000 le nombre d’événements survenant en Europe chaque année(1), soit approximativement 4-5 millions/an dans le monde.Une large majorité (75%) de ces décès subits est associée à une maladie coronaire, 20% à une maladie structurelle non-ischémique, et 5% à une cardiopathie électrique.
Le défi actuel principal se cache dans la figure 1 ci-dessous. Cette figure représente l’évolution entre 2005 et 2018 du nombre de sujets morts subitement pendant une activité sportive en Ile-de-France (2). Oui, nous observons une diminution importante du nombre de sportifs qui vont mourir d’un arrêt cardiaque pendant un effort physique sportif… Cela est réjouissant, certes, mais doit-on pour autant se féliciter de tout le bon travail effectué par la communauté cardiologique ?! Je vous propose de prendre le temps d’y réfléchir 30 secondes… avant de voir la réponse figure 2…
Figure 1
Figure 2
Dans cette figure 2, le nombre de cas survenant chaque année est désespérément stable (rouge), alors que le taux de réanimation augmente de façon fantastiquepour atteindre plus de 60% de survie à la sortie de l’hôpital en 2018 (vert). Ces taux de survie extrêmement élevés sont la conséquence d’un massage cardiaque par le grand public devenu quasi-systématique et l’usage fréquent du défibrillateur automatique externe (DAE) avant l’arrivée des premiers secours (en 2018, 95% et 30% respectivement)… Il faut maintenant faire en sorte que ce succès puisse s’étendre à tout type d’arrêt cardiaque extra-hospitalier.
Contrastant avec cette réanimation dont les facteurs clés sont bien connus, l’identification des sujets à risque reste particulièrement difficile. Il est fort probable qu’actuellement le moyen le plus rentable et efficace pour diminuer le nombre de morts subites est de mieux prévenir la maladie coronaire…
Nous faisons face en effet à trois problématiques principales :
A) la majorité des morts subites survient en population générale, chez des sujets que nous n’avons jamais croisés ;
B) la stratification du risque reste extrêmement difficile, et se limitait jusqu’alors à la valeur de la fraction d’éjection du ventricule gauche dans l’immense majorité des cas (cardiopathie ischémique et dilatée non-ischémique),
C) et enfin que la solution que nous proposons à nos patients les plus à risque (le défibrillateur automatique implantable) n’est pas forcément optimale, sans complication au long-cours !
Ravis de voir au travers des nouvelles recommandations européennes sur la mort subite (3), que pour la première fois la stratification va au-delà de la simple fraction d’éjection dans la cardiopathie ischémique et non-ischémique (considération du degré de fibrose à l’IRM, de la génétique… et on a même ressorti la SVP du placard pour les coronariens ayant une FEVG modérément altérée…).
Pour une meilleure prédiction/prévention, il faut une meilleure compréhension des mécanismes menant à la fibrillation ventriculaire, et pour mieux comprendre, il faut plus de données… or, l’autopsie est effectuée en France dans moins de 1% des cas, la collection de sang (pourtant toutes deux, des recommandations de Classe I) effectuée chez moins de 5% des admis vivants, et nous manquons les données des 75% laissés sur place décédés…
Il est temps d’optimiser notre stratégie de prévention “traditionnelle”, à long-terme, et peut être également de développer une stratégie complémentaire qui viserait à identifier les sujets à risque de mort subite dans les minutes, heures ou jours qui précèdent… Celle-ci pourrait s’appeler prévention subaiguë ou “Near-Term Prevention”… (4)
(1) Empana JP, et al. J Am Coll Cardiol. 2022;79(18):1818-1827.
(2) Karam N, et al. J Am Coll Cardiol. 2022;79(3):238-246.
(3) Zeppenfeld K, et al. Eur Heart J. 2022;43(40):3997-4126.
(4)Marijon E, et al. Eur Heart J. 2022;43(15):1457-1464.